Création automne 2019
Mangeront-ils ?
de Victor Hugo
- Au Théâtre Montmartre Galabru
METTEUR EN SCÈNE : Diane Lotus
COMÉDIEN-NE-S :
Tiphaine Froid, Diane Lotus, Paul Wilmart, Léo Marchand et Judy Passy
SCÉNOGRAPHIE : Maëlle Gorraz
COSTUMES : Marielle Minard
Une formule de Victor Hugo préside à ma première mise en scène :
« Le théâtre n’est pas le pays du réel, il y a des arbres de carton, des palais de toile, un ciel de haillons, des diamants de verre, de l’or de clinquant, du fard sur la pêche, du rouge sur la joue, un soleil qui sort de dessous terre. C’est le pays du vrai, il y a des cœurs humains sur la scène, des cœurs humains dans la coulisse, des cœurs humains dans la salle. » Tas de Pierres III (1830-1833)
J’ai tenu à prendre au pied de la lettre cette vérité générale. Victor Hugo utilise cette métaphore pour parler du théâtre et sa propre vie est peuplée d’allégories et d’oxymores : c’est que je me propose de vous servir au repas sur notre théâtre, en espérant qu’il soit agréable à contempler et qu’il fonde sur vos palais, puis qu’il laisse une trace dans vos mémoires.
Pourquoi Mangeront-ils de Victor Hugo ?
À la fin de la lecture de cette comédie fantasque, je suis restée sur ma faim.
Il manquait quelque chose, ou quelque chose venait en trop dans le texte pour me plaire tout à fait, en tant que pièce. Il semblait roboratif. Précis, certes, cependant agressif dans son occupation de l’espace, dans la richesse de son apparat, dans les imbrications des scènes.
Molière, qu’aimait particulièrement V. Hugo, ne situait pas ses intrigues ailleurs qu’à la cour, se consacrait à une action bien déroulée dans un temps et lieu précis. À l’inverse, Hugo voulait intégrer l’ensemble de ses pérégrinations intellectuelles, son exil, ses fantasmes, sur un plateau imaginaire – puisqu’il n’a pas monté lui-même Mangeront-ils ?, pièce publiée dans un recueil posthume. Théâtre en liberté, certes, mais non sans difficulté !
Ainsi, et je savais en entrant dans ce désir de tréteau hugolien qu’il allait me falloir braver les metteurs en scène de talent et d’expérience avant moi, j’ai eu envie, très fortement envie, de collaborer par l’esprit avec lui.
Avec une équipe d’abord resserrée mais pas moins rassurante et ambitieuse, je me suis mise à la tâche. Je souhaitais des pauses poétiques au milieu de ce déluge dramaturgique : du chant, des tableaux, des ombres. Un éloignement des éléments romantiques, quelques clins d’œil et d’oreille anachroniques, en gardant l’essence d’Hugo : son texte, son lyrisme et son souffle.
J’ai souhaité trouver de nouvelles altercations, d’autres interactions entre les personnages, que celles proposées par le texte de Victor Hugo. Ainsi j’ai procédé à un découpage au sein même des répliques – sans pour autant briser l’harmonie que son vers créait.
J’ai cherché à instaurer plus de contact de la part des amants ; un tissu de baisers fous, des chorégraphies que seul l’amour peut exécuter, des cœurs et des têtes renversées.
Puis grâce à une création lumière unique, les couleurs s’assortissaient à l’âme des personnages – rouge pour le double Mess Tityrus, blanc pour les tourtereaux seuls dans leurs cieux, bleu et mauve pour l’intrigante Zineb et sa prophétie.
Quel souhait en montant cette pièce écrite un siècle et demi plus tôt ? (1867)
Ni provoquer, ni déranger, ni même encourager le public à penser politique, à s’insurger contre des faits et valeurs passées.
La scène ici ne représente pas le lieu de débats, d’ires, de pugilats. Elle vise à élargir la perception : prouver qu’on trouve encore des élans poétiques au théâtre, encore des figures symboliques, encore des émois romantiques, encore des instants féériques.
Qu’on trouve encore du texte, au sens étymologique de tissu dans un spectacle de théâtre contemporain, un texte qui a de la valeur, une direction, un organe qui bat à l’intérieur de ses absences. Cela ne signifie pas qu’il faille arracher les corps de la scène et ne garder que l’écrit, mais bien allier le verbe au geste et ne jamais les séparer.
« Mangeront-ils ? » fait partie de ces pièces un peu moins françaises – un peu moins intelligentes, plus sensitives : elles appellent à la compréhension, néanmoins avant toute chose, à une préhension, une prise par la nature, la survie, l’amour de la nourriture. Et, par-dessus tout, la nourriture de l’amour, celle qui garde Lord Slada et Lady Janet en vie.
L’instinct et l’inconnu prennent leur sens, la hiérarchie en est toute retournée : un roi qui veut pendre se fait prendre, un voleur offre une couronne dérobée à des amants, une sorcière ne maudit personne et délègue son pouvoir et sa longévité à un jeune homme.
Ce spectacle se veut agissant –ou enthousiaste– : il veut insuffler des racines et transmettre des visions à des publics, qui, en sortant de la salle, auront, je l’espère, éprouvé que le « théâtre est le pays du vrai ».
Bien à vous,
Diane Lotus